Histoires d'impact

Renforcement des capacités et mentorat pour les journalistes d'investigation en Afrique de l'Ouest

Les économies illicites et la criminalité organisée constituent un défi majeur pour le développement dans le monde entier, et l'Afrique de l'Ouest ne fait pas exception à la règle.

Les journalistes d'investigation - grâce à leur capacité à mettre en lumière les dynamiques criminelles et à susciter une réaction de la part des communautés et des décideurs politiques - doivent être des éléments clés de la solution.

Sur la base de ce constat, en avril 2024, l'Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC), partenaire de longue date du journalisme d'investigation, a travaillé avec 20 journalistes ouest-africains, dans le cadre d'un programme soutenu par le Département d'État américain. Trois marchés criminels clés ayant des effets particulièrement dévastateurs en Afrique de l'Ouest ont été sélectionnés : la traite des êtres humains, la pêche illégale et le commerce illégal d'espèces sauvages et de produits forestiers.

Ce projet a été réalisée en collaboration avec Poséidon, un cabinet de conseil international spécialisé dans la pêche et l'aquaculture qui fournit des avis indépendants aux secteurs privé et public. Le GI-TOC et Poseidon ont déjà collaboré à l'élaboration de l'indice de pêche INN, qui mesure le risque que représente la pêche illicite, non déclarée et non réglementée pour les différents pays.

Des journalistes du Cap Vert, de la Gambie, de la Guinée-Bissau, de la Mauritanie, de la Guinée et du Sénégal, soutenus par un programme de renforcement des capacités et un programme de mentorat, ont travaillé en réseau pour améliorer la coopération dans la lutte contre ces crimes transfrontaliers.

Le soutien fournit aux journalistes a été apporté à travers des ateliers animés par des experts sur chaque marché illicite, l'analyse des points d'entrée pour comprendre les marchés criminels, des séances d'information sur la sécurité, des visites guidées de sites et le développement de compétences, y compris la production de matériel audiovisuel. 

Dans le cadre du programme de mentorat, chaque équipe a réalisé un travail d'enquête approfondi, dont les articles ont ensuite été diffusés dans les médias.

Ces articles ont été écrit avec le soutien et l’engagement continu de trois spécialistes des trois marchés illicites en question.

Les articles ont été produits par des journalistes indépendants et ne reflètent pas nécessairement les opinions de GITOC ou de Poséidon.

Les participants à l’atelier de renforcement des capacités de Dakar ont produit de courtes vidéos sur la pêche illégale en Afrique de l’Ouest.

Les participants à l’atelier de renforcement des capacités de Dakar ont produit de courtes vidéos sur la pêche illégale en Afrique de l’Ouest.

Les participants à l’atelier de renforcement des capacités de Dakar ont produit de courtes vidéos sur la pêche illégale en Afrique de l’Ouest.

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Examinons de plus près ces trois marchés criminels et les angles d'attaque des journalistes.

Pêche illicite, non déclarée et non réglementée

La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), pratiquée tant par les pêcheurs artisanaux que par les flottes de pêche industrielle, dévaste les stocks de poissons côtiers et les écosystèmes marins de l'Afrique de l'Ouest. De nombreuses communautés côtières se retrouvent privées de leurs moyens de subsistance et de nourriture en suffisance. La pêche illégale compromet également la rentabilité des activités de pêche légales, ce qui a des conséquences pour les gouvernements régionaux et les communautés locales.

L'indice 2023 de la pêche INN a révélé que la sous-région dans son ensemble est considérablement affectée par la pêche illégale. Selon l'Indice, la Guinée-Bissau est l'un des 10 pays au monde où la prévalence de la pêche INN est la plus élevée. Les violations dans le secteur sont probablement liées aux incursions de navires industriels dans les zones côtières, à l'utilisation d'engins de pêche illégaux et aux fausses déclarations de capture. Une équipe de journalistes de la Guinée-Bissau a enquêté sur la désorganisation, la corruption et le manque de transparence du secteur de la pêche dans le pays. 

Les journalistes gambiens et mauritaniens ont quant à eux choisi d'enquêter sur l'industrie régionale de la farine de poisson, qui utilise les stocks de poissons pour produire de la nourriture pour le bétail dans le monde entier. Ils ont exploré en particulier le rôle des entreprises étrangères dans le secteur et l'impact de l'industrie sur les moyens de subsistance locaux et la pénurie alimentaire. Dans le même ordre d'idées, un journaliste sénégalais a produit un documentaire de 30 minutes exposant la manière dont les usines de transformation du poisson au Sénégal et en Mauritanie ne respectent pas les spécifications et pillent les ressources marines alors qu'elles devraient utiliser des restes de poisson.

En complément de ce travail, un journaliste du Cape Vert a analysé la dynamique de la pêche INN dans la vaste zone économique exclusive du pays, en explorant comment la collecte et la diffusion de données par les autorités peuvent contribuer à un meilleur suivi du phénomène. Enfin, une équipe de journalistes guinéens a enquêté sur les conflits entre pêcheurs artisanaux et industriels en Guinée, exacerbés par l'empiètement des navires industriels sur les zones de pêche artisanale.

Traite des êtres humains

Selon l'Indice mondial du crime organisé 2023 du GI-TOC, une évaluation menée par des experts des marchés criminels et de la réslience des États à ces marchés, la traite des êtres humains est le deuxième marché criminel le plus répandu en Afrique de l'Ouest. La technologie est récemment apparue comme un élément clé de la dynamique de la traite des êtres humains, l'Afrique de l'Ouest se révélant extrêmement vulnérable à la production et à la distribution croissantes de matériel d'abus sexuel d'enfants en ligne.

Les sites d’orpaillage en Afrique de l'Ouest sont souvent des endroits où les personnes sont exploitées à des fins de travail ou à des fins sexuelles dans des contextes qui relèvent de la traite des êtres humains. Des journalistes sénégalais ont exploré les dynamiques qui sous-tendent le trafic de jeunes femmes et filles nigérianes vers les sites d'extraction d'or de Kedougou, dans le sud-est du Sénégal. Les femmes nigérianes, qui constituent la majorité des victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle, sont arrachées à leur foyer par des réseaux criminels sophistiqués. Sur les marchés du Mali, notamment à Djidian, un village de la région de Kayes, dans le sud-ouest du pays, les réseaux vendent les jeunes femmes et les filles à des individus qui coordonnent leur exploitation.

Trafic de produits de la faune et de la flore sauvages et de produits forestiers 

Les riches ressources naturelles de l'Afrique de l'Ouest sont dévastées par l'exploitation criminelle, notamment le braconnage illégal et l'abattage d'arbres, souvent pour répondre à la demande étrangère. Il a été constaté que les dommages causés à l'environnement compromettent la réalisation de 80 % des objectifs de développement durable (ODD), tandis que la criminalité représente un défi transversal majeur pour au moins 15 % des objectifs des ODD. L'exploitation forestière illicite, l'un des crimes les plus rentables au niveau mondial dans le domaine des ressources naturelles, constitue une menace particulièrement grave pour l'environnement, car elle compromet la stabilité des systèmes climatiques et favorise le changement climatique.

Un journaliste sénégalais a enquêté sur le trafic d'espèces sauvages dans son pays. Il s'est intéressé à la législation nationale obsolète, aux faibles peines encourues par les trafiquants et à la pression croissante exercée par les braconniers sur les parcs nationaux et les zones protégées. Les journalistes sénégalais ont constaté que les cadres juridiques actuels sont peu dissuasifs pour les trafiquants d'espèces sauvages car les peines sont très légères. Leurs enquêtes ont souligné la nécessité de finaliser les processus de révision législative en cours afin d'actualiser le cadre réglementaire sénégalais, et d'associer les mesures d'application de la loi à un soutien supplémentaire aux communautés vivant à la périphérie des parcs nationaux afin de réduire la dépendance à l'égard des ressources protégées. 

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Le rôle des journalistes d'investigation dans la mise en lumière du monde sous terrain de la criminalité transnationale organisée est essentiel pour informer l'opinion publique et créer les conditions nécessaires à l'action des décideurs politiques.

Grâce à leur important travail sur ces marchés criminels prioritaires, les journalistes d'Afrique de l'Ouest sont le moteur d’un changement au niveau régional.

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À propos de GITOC

L'Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GITOC) est un réseau de professionnels travaillant en première ligne dans la lutte contre l'économie illicite et les acteurs criminels. Grâce à un réseau d'observatoires de la société civile sur l'économie illicite au niveau global, nous suivons l'évolution des tendances et nous nous efforçons d'établir une base factuelle pour l'action politique, de diffuser l'expertise de notre réseau et de catalyser des réponses multisectorielles et globales pour toute une série de types de criminalité. Avec le Fonds de résilience de l'Initiative mondiale, nous soutenons les communautés et les ONGs locales qui travaillent dans des régions où la gouvernance de la criminalité compromet gravement la sûreté, la sécurité et les perspectives d'avenir des populations.

A propos de l'Observatoire des économies illicites en Afrique de l'Ouest

L'Observatoire, créé en 2021, regroupe des chercheurs travaillant dans l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest et du Sahel. L'Observatoire s'efforce de mettre en lumière l'économie politique de la criminalité transnationale organisée dans la région, en se concentrant sur les liens entre les marchés illicites, l'instabilité et les conflits. L'Observatoire applique une approche de partenariat, en travaillant et en soutenant la société civile dans toute la région. Dans ce cadre, l'Observatoire cartographie les centres, les routes et les flux des marchés illicites, ainsi que les principaux acteurs, et évalue leurs implications pour la stabilité régionale, les conflits, la gouvernance et les tensions sociales dans la région. Les pays couverts par l'observatoire sont le Nigeria, la République centrafricaine, le Mali, le Niger, la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Cameroun, le Liberia, le Burkina Faso, le Ghana, la Gambie, le Sénégal, le Togo, le Bénin, le Cape Vert, la Sierra Leone, la Guinée-Bissau et le Tchad.