CARTOGRAPHIE DES PLAQUES TOURNANTES ILLICITES EN AFRIQUE DE L’OUEST
2025 | DOSSIER DE PRESS

L’Afrique de l’Ouest est une région marquée par un profond dynamisme économique mais par une insécurité persistante. Les groupes armés non étatiques sont des moteurs majeurs de la violence dans toute la région. Selon les résultats de l’Indice mondial du terrorisme 2025, le Sahel représente désormais 51 % des décès liés au terrorisme dans le monde.
Les économies illicites sous-tendent les dynamiques de conflit dans toute la région, constituant un pilier central des économies de guerre dans les conflits les plus violents. Elles agissent également comme des moteurs clés du conflit et de la violence. Complexifiant la réponse, certaines économies illicites sont aussi des moyens de subsistance essentiels à l’échelle régionale.
Les groupes armés — qu’il s’agisse d’organisations extrémistes violentes, de groupes criminels ou d’insurgés — exploitent un éventail d’économies illicites, allant du trafic d’armes et du commerce illicite de carburant et de motos au vol de bétail, à l’enlèvement, à l’extorsion et au commerce illicite de l’or.
Leurs objectifs ? Obtenir des ressources opérationnelles cruciales, financer leurs activités et même gagner en légitimité aux yeux des populations locales.
De nouvelles recherches de la Global Initiative contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC) proposent une cartographie actualisée des principales plaques tournantes des économies illicites en Afrique de l’Ouest et dans certaines zones d’Afrique centrale, en mettant l’accent sur le lien entre crime organisé, conflit et instabilité dans la région.
✽ Cette cartographie 2025 actualise un exercice réalisé en 2022, permettant d’analyser les tendances clés dans le temps.
Principales conclusions :
1. Dans une plaque tournante illicite sur cinq dans la région (70 sur 350 identifiées), les économies illicites jouent un rôle significatif en tant que vecteurs de conflit, de violence et d’instabilité.
2. Cinq marchés illicites présentent les liens les plus forts avec l’instabilité : l’extorsion et le racket de protection, le trafic d’armes, le vol de bétail, l’enlèvement et le commerce illicite de l’or.
3. L’extorsion et le racket de protection sont particulièrement présents (54 %) dans les plaques tournantes qui alimentent fortement l’instabilité et celles qui assurent financement, ressources et légitimité aux groupes armés.
4. Le trafic de drogues de synthèse est l’économie illicite la plus répandue dans la région et se propage rapidement. Les plus préoccupants sont les opioïdes de synthèse, dont le tramadol et le « kush », une drogue synthétique contenant souvent des nitazènes.
5. Les économies illicites constituent une source majeure de financement pour les acteurs armés non étatiques, y compris les groupes extrémistes violents. Les groupes armés exploitent aussi ces économies pour obtenir des ressources opérationnelles et construire leur légitimité.
6. Le trafic d’armes est la forme d’activité illicite la plus courante dans les plaques tournantes les plus étroitement liées à l’instabilité dans la région. Toutefois, l’évolution du paysage des conflits a entraîné un déplacement des routes du trafic d’armes — par exemple du fait de l’intensification des combats dans le nord du Mali, qui a perturbé des routes anciennes depuis la Libye, et de la guerre au Soudan, qui alimente la prolifération d’armes de plus en plus sophistiquées vers le Tchad.






Trois types de plaques tournantes illicites
La cartographie identifie trois types de plaques tournantes illicites :

Points chauds
Lieux où la présence des économies illicites, des activités criminelles organisées et des acteurs criminels est forte. Dans les points chauds, il existe soit une « production » soit une « distribution » d’activités illicites, ou les deux. Ces points chauds alimentent des dynamiques criminelles plus larges au niveau national ou régional.
Points de transit
Lieux charnières spécifiques — ports maritimes, aéroports, postes frontaliers et infrastructures routières — exploités pour le trafic de marchandises illicites.
Écosystèmes illicites
Appelés « zones criminelles » dans la cartographie 2022, les écosystèmes illicites sont des espaces qui relient plusieurs points chauds ou points de transit interconnectés, où les économies illicites qui y opèrent sont étroitement imbriquées.
Marchés accélérateurs : moteurs de l’instabilité
Le lien entre criminalité et conflit est largement reconnu. Toutefois, certaines économies illicites jouent un rôle bien plus important que d’autres dans l’alimentation de l’instabilité. En Afrique de l’Ouest, il s’agit notamment du trafic d’armes, du vol de bétail, de l’enlèvement, du commerce illicite de l’or, ainsi que de l’extorsion et du racket de protection.
Les groupes armés s’engagent dans les économies illicites pour trois objectifs principaux : générer des revenus ; obtenir des ressources opérationnelles (par exemple carburant, véhicules ou motos) ; et renforcer leur légitimité auprès des communautés où ils opèrent. La cartographie montre que les plaques tournantes qui jouent un rôle significatif pour permettre aux groupes armés d’atteindre l’un de ces objectifs sont presque exclusivement celles qui jouent aussi le rôle le plus déterminant dans la dynamique d’instabilité à l’échelle régionale.
Prévalence des économies illicites dans les plaques tournantes présentant des scores de l’IEIM « faibles » et « élevés »/« très élevés ».
Prévalence des économies illicites dans les plaques tournantes présentant des scores de l’IEIM « faibles » et « élevés »/« très élevés ».

Trafic d’armes
Le trafic d’armes alimente la violence dans toute la région, militarise les conflits, approvisionne des acteurs non étatiques clés et renforce l’usage de la violence comme instrument de contrôle des marchés criminels. À mesure que les groupes armés étendent leur emprise, les armes circulent plus vite et plus loin, armant à la fois les combattants et des communautés locales déjà apeurées.

Vol de bétail
Autrefois un délit rural, aujourd’hui une économie de guerre. Les groupes armés pillent les troupeaux, imposent des « taxes » et écoulent le bétail volé au-delà des frontières — en particulier entre le Burkina Faso, le Ghana et la Côte d’Ivoire — transformant le cheptel en source de liquidités et de contrôle.

Enlèvement
L’enlèvement a explosé pour devenir une industrie régionale, brouillant la frontière entre criminalité et guerre. Partout dans la région, les organisations extrémistes violentes et d’autres groupes armés y voient à la fois une source de revenus et un moyen de représailles — un outil pour financer leurs campagnes et resserrer leur emprise sur les communautés. Avec la nette hausse des cas ces dernières années, l’enlèvement est devenu l’un des signes les plus visibles — et inquiétants — de l’insécurité grandissante en Afrique de l’Ouest.

Extorsion et racket de protection
Des organisations extrémistes violentes qui taxent les éleveurs aux bandits qui réclament des « frais », l’extorsion est devenue une forme de gouvernance parallèle. Elle lie les communautés aux acteurs armés et ancre une autorité concurrente.

Commerce illicite de l’or
L’or finance les combattants et fait vivre les mineurs. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, de nombreux sites aurifères servent aussi de plaques tournantes pour les flux d’armes et de drogues — faisant du métal à la fois un moyen de subsistance et un moteur d’instabilité.
Évolutions clés des dynamiques crime–conflit :
Par rapport au rapport de référence de 2022, plusieurs évolutions se dégagent, notamment :
✽ Des éléments de plus en plus probants montrent que la zone des trois frontières entre le Burkina Faso, le Ghana et la Côte d’Ivoire constitue une plaque tournante d’approvisionnement pour le groupe extrémiste violent Jama’at Nasr al-Islam wal-Muslimin (JNIM).
✽ Des liens renforcés entre les plaques tournantes illicites du nord du Bénin et les conflits au Sahel, avec une hausse du vol de bétail et des enlèvements qui alimentent l’instabilité.
✽ L’enracinement du JNIM dans le nord et l’est du Burkina Faso ancre davantage le groupe dans les économies illicites, notamment via un contrôle accru des axes routiers, qui génèrent des ressources pour soutenir ses opérations et sa gouvernance.
✽ La résurgence du conflit dans le nord du Mali a perturbé des économies illicites — notamment le trafic d’armes et le trafic illicite de migrants — et affaibli les flux de ressources vers les groupes armés non étatiques, en particulier les recettes issues du secteur aurifère.
✽ Dans le nord-est du Nigeria, l’influence croissante de Jama’tu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS), qui a conquis des territoires à l’État islamique en Afrique de l’Ouest, a de fortes implications pour les communautés : le JAS recourt à des tactiques nettement plus violentes.




Problèmes dans la zone des trois frontières
Un exemple est la manière dont la zone des trois frontières entre le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Ghana est devenue une plaque tournante illicite de plus en plus importante pour le JNIM.
L’unité du JNIM active dans cette zone — la Katiba Banfora — a recentré son action sur le financement et l’approvisionnement en ressources plutôt que sur l’expansion des opérations du groupe, à la suite d’une vaste répression militaire menée par la Côte d’Ivoire après une attaque meurtrière du JNIM contre ses soldats en 2020.
La contrebande transfrontalière essentielle à l’approvisionnement du JNIM inclut le carburant et les motos, importés par des ports côtiers — en particulier au Ghana — puis acheminés vers le nord.
La zone des trois frontières joue aussi un rôle important dans le financement du JNIM : des milliers de têtes de bétail, volées dans des foyers de conflit au centre du Mali ou au nord du Burkina Faso, transitent par cette zone pour être revendues sur des marchés en Côte d’Ivoire et au Ghana par des intermédiaires.
Le JNIM puise également des ressources dans l’extraction aurifère artisanale des parties burkinabè et ivoirienne de la zone des trois frontières.
Itinéraires du bétail volé et points de vente dans la zone des trois frontières Burkina Faso–Ghana–Côte d’Ivoire
Perspectives
Des signaux d’alerte indiquent que les groupes armés au Sahel adaptent leurs comportements, recherchent de nouvelles opportunités et étendent leur portée opérationnelle et géographique.
Par exemple, depuis début 2025, la Province de l’État islamique au Sahel et le JNIM ont nettement accru leur recours à l’enlèvement contre rançon comme source de financement. Cette tendance devrait se poursuivre.
La hausse des enlèvements et des attaques visant des entreprises pourrait s’inscrire dans la tactique du JNIM de mener une guerre économique dans le sud du Mali. La région de Kayes, riche en or dans le sud-ouest du Mali, est vulnérable à l’exploitation du secteur aurifère par le JNIM. Les enlèvements contre rançon visant des orpailleurs chinois pourraient devenir l’un des moyens du groupe pour générer des revenus.
Une escalade durable de la violence dans le sud du Mali pourrait accroître les mouvements liés au trafic illicite de migrants sur les routes maritimes depuis la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée et la Guinée-Bissau vers les îles Canaries.
Recommandations – Que faire ?
✽ Formaliser et soutenir le secteur de l’extraction aurifère artisanale, et éviter les interdictions et les opérations de répression.
✽ Donner la priorité aux réponses au vol de bétail, notamment en renforçant la régulation du secteur de l’élevage.
✽ Comprendre et traiter les motivations non financières à l’origine des enlèvements commis par des groupes armés, notamment la perception de membres des communautés comme informateurs de l’État.
✽ Renforcer les systèmes de gestion des armes et le contrôle des exportations d’armes.
✽ Améliorer les systèmes d’information pour endiguer la propagation rapide des drogues de synthèse.
✽ Renforcer l’appui aux communautés proches des parcs nationaux, vulnérables à l’infiltration de groupes armés.
À PROPOS DU PROJET
Pour faire face aux défis complexes de la criminalité transnationale organisée, le projet " Appui à l'atténuation des effets déstabilisateurs de la criminalité transnationale organisée (M-TOC) " combine les réponses traditionnelles en matière de sécurité avec des mesures de résilience prises par les communautés, éclairées par des recherches de pointe sur l'intersection des économies illicites et de l'instabilité dans la zone transfrontalière du Ghana, de la Côte d'Ivoire et du Burkina Faso.
Le projet "Appui à l'atténuation des effets déstabilisateurs de la criminalité transnationale organisée (M-TOC)" est un projet de la CEDEAO financé par le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères, mis en œuvre par la Deutsche Gesellschaft fur Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, et la Global Initiative against Transnational Organized Crime (GITOC), pour la période de 2024 à 2025.
À PROPOS DE L’OBSERVATOIRE DE L’AFRIQUE DE L’OUEST
L’Observatoire des économies illicites en Afrique de l’Ouest du GI-TOC, créé en 2021, regroupe des chercheurs travaillant à travers l’Afrique de l’Ouest et le Sahel. L’Observatoire met en lumière l’économie politique de la criminalité transnationale organisée dans la région, en se concentrant sur les liens entre marchés illicites, instabilité et conflit. Il adopte une approche de partenariat en collaborant avec la société civile régionale, et cartographie les foyers, routes et flux des marchés illicites ainsi que leurs principaux acteurs, afin d’évaluer leurs implications sur la stabilité, la gouvernance et les tensions sociales.
À PROPOS DE LA GI-TOC
L’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC) est un réseau de professionnels œuvrant en première ligne contre l’économie illicite et les acteurs criminels. À travers un réseau mondial d’observatoires de la société civile sur l’économie illicite, le GI-TOC suit l’évolution des tendances, développe une base factuelle pour l’action politique, diffuse l’expertise de son réseau et favorise des réponses multisectorielles et holistiques. Grâce à son Fonds pour la résilience, le GI-TOC soutient des militants communautaires et des organisations locales travaillant dans des contextes où la gouvernance criminelle compromet gravement la sécurité et les moyens de subsistance des populations.